INTERVIEW - KIARASH DADGAR
- thelittlecrocofest
- 15 mai
- 5 min de lecture
THE STEAK a remporté un Prix du meilleur Court-métrage à notre 2nde édition du LCF.
Interview avec le réalisateur Kiarash Dadgar.

Qu’est-ce qui vous a d’abord amené à la réalisation ? Puis à coécrire et réaliser THE STEAK ?
Je viens du monde du théâtre et de la performance, mais ce qui m’a amené à la réalisation a été une passion pour raconter des histoires sous de nouvelles formes innovantes. Je vois le cinéma non pas comme un medium abouti mais comme une science en évolution — ça n’existe que depuis environ 150 ans et selon moi c’est toujours en développement. J’ai pensé que je pourrais contribuer à cette évolution en apportant ma propre vision du monde dans le langage cinématographique.
The Steak est né d’une vraie image que mon co-auteur Ali Narimani m’a partagée. Pendant la guerre Iran-Irak, une mère et son enfant cuisinaient au sud de l’Iran pendant quand des soldats Irakiens ont fait intrusion. Un voisin a couru dans leur maison en criant « Pourquoi vous cuisinez encore ? Il y a des soldats dehors ! » La mère a regardé par la fenêtre, vu les soldats, attrapé son enfant et fui. Ils ont survécu. Mais cette question m’est restée : qu’est-il arrive à la nourriture ? Ce détail m’a hanté. J’ai commencé à penser : et si on restait dans la maison avec la nourriture ? C’est devenu le noyau du film.
Comment avez-vous trouvé votre équipe et votre casting ?
La plupart d’entre eux étaient des étudiants ou collaborateurs du Soore Art University à Téhéran, où j’étudiais à l’époque. Environ 80% d’entre eux ont travaillé bénévolement. Au fil des ans, j’avais gratuitement joué dans beaucoup de films étudiants et indépendants, et j’ai vu les atouts créatifs engendrés par ces efforts — comme un réseau officieux basé sur la confiance. Quand j’ai voulu faire The Steak, j’ai recontacté ces précédents coéquipiers, et beaucoup m’ont généreusement retourné le soutien.
C’était une production locale, menée par la passion et la solidarité. Chacun a apporté son énergie et sa foi en le projet, et j’en suis profondément reconnaissant. La post-production a pris un an, et le film est sorti officiellement en 2023.
Votre court-métrage est un plan-séquence muet : comment avez-vous travaillé avec vos acteurs ?
Franchement je m’estime chanceux d’avoir eu ce casting. La plupart des membres ne s’étaient jamais rencontrés avant le jour du tournage — nous n’avions ni le budget ni la logistique pour organiser de vraies sessions de répétition en amont. Tout le monde est arrivé sur le décor au matin et nous avons utilisé les heures avant le tournage pour traverser la séquence et répéter. On a instauré des tops d’entrée spécifiques et des actions pour chaque acteur, ce qui a créé une sorte de rythme structuré et mécanique — presque comme pour un spectacle sur les planches.
Parce que le film est un plan-séquence muet, j’ai beaucoup puisé dans mes expériences théâtrales. J’ai joué dans plusieurs pièces et travaillé avec des metteurs en scène chevronnés, donc je savais comment utiliser le physique, le temps et le jeu d’acteur sans m’appuyer sur des dialogues. La chorégraphie des corps dans l’espace était essentielle.
Mes assistants-réal ont joué un rôle crucial dans la coordination des mouvements des acteurs, surtout des soldats et gens en arrière-plan dans les actions de rue. J’étais complètement concentré sur le moniteur pour m’assurer que la caméra capturait ce dont on avait besoin, pendant que mon premier assistant, Arian Hosseini, expérimenté dans des séries TV majeures en Iran, coordonnait le timing et le contrôle de la foule. Malgré les ressources limitées, son soutien a été précieux pour que la séquence reste précise et vivante.
Quand & où a été tourné THE STEAK, et sur combien de temps ?
The Steak a été tourné en 2022 à Téhéran (Iran) dans un lieu nommé Ghazali Cinema Town — un plateau construit exprès pour le cinéma et la télé. Les maisons que vous voyez dans le film ne sont pas de vraies structures, juste des façades avec rien derrière. C’était la meilleure option visuelle pour nous, mais ça a pris du temps pour s’assurer d’avoir les permissions nécessaires et parfaire le décor. Comme le film était basé dessus, j’avais écrit l’histoire avec un environnement très spécifique en tête, et c’était un défi de trouver un lieu qui s’y prêtait.
Nous n’avions pas beaucoup de temps — j’ai reçu un aller simple pour le Canada environ trois semaines après avoir eu le feu vert sur le projet, donc nous avions une maigre fenêtre de trois à quatre semaines pour préparer et tourner. Une seule journée de tournage. On a passé du temps de pré-prod sur le plateau — construire le décor, accessoiriser la maison, arranger les espaces — mais la plupart du travail sur la direction d’acteur, les entrées, les tops, ont été établis sur place le jour du tournage. Malgré les contraintes, l’équipe s’est unie pour y arriver.
Combien de steaks utilisés au total ?
On en a acheté 2, tous deux utilisés au tournage. Le premier apparaît sur l’image d’ouverture, le second à la fin. Parce que le film était tourné en une seule prise, on devait organiser précisément l’utilisation des steaks. Ils ont fini par être les accessoires les plus couteux sur place, ce qui dit beaucoup du niveau de budget et d’ingéniosité globale de la production. Tous les passages de cuisine au début ont été fait en effets spéciaux, car on ne voulait pas endommager la caméra.
Parlez-nous de la post-prod !
C’était de loin la phase la plus longue et difficile. Après le tournage, le mouvement Women, Life, Freedom est apparu en Iran et beaucoup de gens dans l’industrie, dont des professionnels de la post-prod, ont interrompu ou cessé leur travail. Entre-temps, j’avais déjà emménagé au Canada et n’ai pas eu accès au disque dur où aux rushes pendant des mois, et Internet n’était pas dispo en Iran sur cette période. Tout a dû être dirigé à distance, ce qui a encore tout compliqué.
Je suis resté en contact étroit avec mes collaborateurs en Iran, surtout le directeur artistique Sadeq Es-haqi et le chef-op Farzad Shahab, fondamentaux pour aider à faire avancer les choses. Une des parties les plus intenses était le travail du son. J’en avais planifié chaque détail dans le script, donc des idées très précises — mais comme je ne pouvais pas être présent en studio, ça nous a coûté beaucoup d’explications, d'interminables échanges de retours, et de patience.
Le son est signé AbdolReza Heydari, un des ingés son les plus respectés dans le cinéma Iranien. Il a bossé avec des réals comme Jafar Panahi, et ses films ont été projetés à Cannes, Berlin et Venise. Je suis incroyablement reconnaissant qu’il ait accepté de travailler sur The Steak, même si j’ai sans doute été un client de cauchemar, tout le temps à réclamer des changements et ajustements. Il est resté fidèle au projet et le résultat final me rend profondément fier.
Les effets et l’étalonnage ont aussi été gérés à distance. J’ai fait confiance à Farzad Shahab pour l’étalo, et sa version correspond exactement à ce que j’espérais. Amin Enteshari, le truquiste, a tout rendu fluide, super naturel et pro.
Des projets passés ou futurs à nous partager ici ?
Oui ! Je travaille en ce moment sur King Size Bed, un court orienté politique qui se déroule durant la révolution Iranienne de 1979. Cela poursuit mon exploration de la répression sociale et de la résistance personnelle, racontée via une narration intime et menée visuellement.
Je développe aussi un long-métrage intitulé Graveyard, une histoire sur une île isolée, avec le support et la gestion des Studios AGBO, fondés par les Russo Brothers ; cela fait partie de la récompense qu'ils m'ont attribuée au Slamdance Film Festival.
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