THIRTY2 a gagné le prix Meilleur Film d’Horreur, plus une mention honorable Meilleure Image (Arturo Cho), à la 1ère Edition de notre LCF.
Interview avec le réalisateur Tim Luna.
Comment en êtes-vous venu à écrire et réaliser ce film ?
Le film était déjà planifié fin 2019. Au premier jet c’était un film en couleurs avec de vrais costumes d’époque, une direction artistique historique qui voulait correspondre à l’époque où E. A. Poe a écrit l’histoire. Thirty2 est basé sur la nouvelle “Bénérice” parue à Richmond en 1835. À sa publication dans le magazine The Southern Literary Messenger elle a fait scandale à cause de la violence de l’histoire. Poe l’a censurée de lui-même quand il l’a republiée quelques années plus tard, en raccourcissant des passages cruciaux. En termes de script ce n’était pas très différent de la version d’aujourd’hui. Mais en couleurs ç’aurait été un autre film, avec de vrais costumes historiques et une autre direction artistique.
Mais la pandémie est arrivée et j’ai perdu mes producteurs et d’autres personnes qui voulaient m’aider à des postes clés. La version colorisée aurait nécessité un plus grand budget.
Pendant des recherches sur un autre projet, je suis tombé sur un article intéressant à propos des rêves. Il décrivait quelqu’un qui pouvait rêver en noir & blanc et qui, dans ce cas, voyait tous les espaces vides. Ç’a été pour moi une révélation. J’avais toujours le lieu, la maison disponible. Et j’ai pensé : c’est ça, la bonne idée pour Thirty2 ! Nous filmerons en n&b ; la phase onirique sera un peu plus mise en valeur et toutes les pièces vides, hormis quelques accessoires. Ça pouvait être le bon concept. J’étais ravi parce que je croyais alors le projet perdu. J’ai expliqué l’idée directement à Harrison et on a tout de suite commencé à produire Thirty2.
Votre équipe : aviez-vous déjà travaillé avec certains d’entre eux ? Et comment avez-vous trouvé les nouvelles recrues ?
Harrison Jones était embarqué avec moi sur ce projet depuis le début. Il adorait l’histoire et voyait le défi en tant qu’acteur. Bien sûr, on avait besoin de plus de gens pour la production, mais on s’y est activement impliqué ensemble, dans plusieurs tâches. J’avais rencontré Harrison quelques années plus tôt sur un tournage où nous jouions tous les deux des soldats allemands pour une pub de cinéma mexicain. On a retravaillé ensemble et je l’ai dirigé plus tard dans une pub pour un mag allemand d’horreur. Et pour moi il était depuis le début le bon gars pour le rôle d’Egaeus.
Bérénice a été un long processus de casting. Je voulais une actrice aussi proche que possible de la description par Poe. Après un moment je l’ai trouvée. Deux jours avant le début du tournage, elle est tombée malade. Vous imaginez le stress quand on a su que l’actrice principale n’était plus dispo. Il ne restait que très peu de temps pour la remplacer. On avait aussi le problème des prothèses dentaires qui avaient été faites pour elle. Dans ce temps court, on ne pouvait créer d’autres prothèses, donc elles ont été retravaillées plus tard autant que possible par nos deux maquilleuses en effets spéciaux, pour que ça puisse s’adapter à une nouvelle actrice. Mais j’ai reçu une aide improbable. J’ai eu la chance le lendemain de trouver Lili Juarez. Je lui ai envoyé le scénario, l’ai rencontrée, on a parlé brièvement du film et de l’exécution de l’histoire, elle a adoré et on a commencé à filmer le lendemain. Un petit miracle. Je n’ai eu aucun problème à tourner avec elle, elle a été merveilleuse en toute situation.
J’ai recruté les deux enfants via une agence spécialisée. J’avais déjà travaillé avec des enfants et me suis fié à mon intuition pour le casting. Il n’y a finalement eu aucune difficulté avec eux.
Tim Luna & Santiago Hernandez Lopez
Quand et où a été tourné THIRTY2, et pour combien de temps de tournage ?
On a tourné en automne 2022 avec les conditions covid à Mexico. Trois jours dans la maison / en intérieur et une demi-journée en studio pour les différentes expressions faciales de Harrison que j’allais utiliser plus tard pour animer / recréer le cauchemar d’Egaeus, Bérénice morte allongée pour les associations d’image à venir (scène du cimetière) et le même jour les plans en extérieur sur deux lieux différents. D’abord tournage de jour puis le cimetière/cercueil de nuit.
Au Little Croco Festival, on est friands d’anecdotes. Quel était la scène la plus difficile ? Ou au contraire y a-t-il eu un moment magique, une séquence ou un plan que tout le monde a adoré tourner ?
Personnellement je pense que le plan à la dolly qui s’éloigne d’Harrison pendant que la lumière sur le décor s’assombrit et qu’il met sa tête sur ses mains est très beau parce que ses yeux sont dans l’exacte position nécessaire pour la caméra. Pas facile à réussir, surtout pour un acteur, mais aussi pour toute l’équipe, parce que beaucoup de choses se passent en même temps. Ça c’était un moment magique.
Harrison Jones & Arturo Cho
Comme vous le savez, nous avons particulièrement aimé l’image de votre film. Comment avez-vous bossé avec votre chef-op ? Vous lui avez partagé des références picturales en préambule ? Des demandes précises ? Il a fait des suggestions/découvertes sur place… ?
Au début, je ne trouvais personne pour comprendre le concept à la lumière, ni donc pour le mettre en œuvre. J’ai rencontré Arturo Chu après une longue conversation avec un de mes producteurs associés Carlos Melendez, dont j’avais supervisé en partie le court métrage et son parcours en festivals. Arturo était le chef-op de Hambre/Hunger – un court d’horreur tourné comme un western italien. J’ai vraiment aimé l’image de ce film. Au début de ma carrière, j’ai souvent travaillé en tant qu’électro et ai ensuite toujours regardé attentivement comment la lumière était faite, selon quelles différentes techniques. Je savais ce que je voulais. Avec lui, j’ai non seulement trouvé quelqu’un qui avait l’expérience de la photo noir & blanc, mais aussi le bon mec avec un troisième œil pour les bonnes idées. Je lui ai montré beaucoup de photos et quelques extraits de films. Je voulais un mélange de film noir et d’expressionnisme allemand. Le film qui m’a servi de modèle, dirait-on, était le drame allemand muet de 1926 Secrets of a Soul de G. W. Pabst. Il contenait déjà ce genre d’association d’images que je cherchais, des scènes emboîtées comme de multiples enchaînements. Et Arturo a bien compris le principe : chaque scène de Thirty2 devait être cinématographiquement très forte. Il a apporté son équipe entière (gaff, électros, assistants cam et équipement) sans qui il n’aurait pas été possible d'appliquer ces idées de lumière dans le temps imparti.
Comment est venue l’idée d’amener la couleur pour le générique de fin ?
Est-ce un rêve, pas un rêve ? Un rêve dans le rêve ? Avec la séquence en couleurs à la fin du film, je voulais mettre en évidence qu'Egaeus est maladivement obsédé par les dents de Bérénice. Et à quel point il est fou en réalité. Et que ce n’était pas qu’un rêve. Ça donne aussi le temps de réfléchir à ce qu’on vient de voir. Avec la certitude que Bérénice est toujours en vie et qu’il recommencera. C’était pour moi l’horreur dans l’histoire. Mon pur moment Poe en couleurs.
Parlez-nous de la post-prod !
La post-production était longue et en partie compliquée. Parce qu’on a eu des problèmes avec les différents systèmes de post-prod comme la suite de montage, les animations pour composer les images, la configuration caméra choisie sur le tournage, etc. – tout ne fonctionnait pas toujours ensemble. Le montage et les incrustations se sont faits en Allemagne, l’étalonnage et le travail du grain au Mexique, et le mastering de nouveau en Allemagne. On peut penser que c’est se compliquer la vie. Mais c’était une co-prod et, au final, ça a fonctionné grâce à l’aide de beaucoup de gens.
Où peut-on voir THIRTY2 ? Et s’il n’est pas encore dispo : comment pourrait-il l’être bientôt ?
Thirty2 est toujours dans le circuit des festivals internationaux pour 2024. Il pourrait intégrer une anthologie d’horreur, voire sur Poe - ou, quand les festivals seront finis, sortir sur une plateforme de formats courts.
Sur vous-même : qu’est-ce qui vous a amené à la réalisation ? vos études… ?
C’était la fascination pour le cinéma, l’image animée et les possibilités pour s’exprimer avec. J’ai commencé en tant qu’agent de sécu, coursier et assistant lumière sur les tournages. Ensuite j’ai bossé comme assistant-réalisateur pendant un court temps et, par chance, suis devenu apprenti aux côtés d’un producteur spécialisé dans les clips et documentaires musicaux au début des années 90. J’ai appris sur le terrain. Une de mes compétences était d’improviser, et aussi prendre des décisions envers et contre tous : deux choses indispensables dans cette industrie. Je n’ai jamais été en école de cinéma dans le vrai sens du terme.
Un projet antérieur ou postérieur à celui-là, que vous voudriez partager ?
Je suis fier de deux vrais films indépendants que j’ai produits. En 2004 "Tears of Kali" est sorti après un beau parcours festivals et quelques prix dans le monde entier, et en 2011 "Masks", un hommage à l’horreur classique à l’Italienne et au giallo, fameuses enquêtes policières des années 70 et 80, qui a aussi eu une bonne vie en festivals et une distribution internationale. Pour qui veut voir des clips (j’en ai produit et réalisé beaucoup) et certaines bandes-annonces de mon passé, voici ma chaîne Youtube : https://www.youtube.com/@MrLunavision
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