LE CHANT DU FLEUVE
- thelittlecrocofest
- il y a 6 jours
- 3 min de lecture
Pierre Mathiote / France / 1h25
Synopsis
La Loire et le poète : une histoire d’amour.

Sur les éditions précédentes, des propositions comme Refugee Poetry, Benjamim Zambraia ou encore Clownery étaient venues étancher la soif de poésie des Crocos. Pour celle-ci, c’est « Le Chant du Fleuve » qui nous est parvenu. Et ce n’est pas un spécimen négligeable ! Emmitouflé dans son concept, le long-métrage enchaîne en voix-off les vers d’auteurs locaux pour personnifier la Loire et son amant humain, leur donnant parole tout en tissant une profuse toile d’illustrations. On commencera ici par le négatif (ou plutôt, ce qui pourrait rebuter), histoire de l’évacuer rapidement pour passer au principal de notre chronique : tous les indéniables atouts qui nous ont séduits dans ce film pas comme les autres.
Ce qui nous a fait débattre
Comme beaucoup d’expérimentations se donnant pour mission d’être à la fois poétiques et picturales, « Le Chant du Fleuve » requiert intrinsèquement un certain état d'esprit — contemplatif, pourrait-on dire. En gros, il faut être prêt à s’accrocher un minimum. Le film n’est en ce sens pas facile d’accès au début du visionnage. La longueur du format choisi accroit aussi une certaine monotonie, inhérente au parti-pris. Nous ne nous en plaignons nullement, mais c’est à savoir avant de s’y investir.
Aussi paradoxal que ça paraisse, le montage son nous a semblé parfois rapide. Peut-être une façon de ne pas rallonger la durée du film ? Mais souvent, deux poèmes ou deux thèmes s’enchaînent soit directement, soit avec un expéditif passage au noir à l’écran ; nous avons trouvé que les moments où intervenait une pause séparatrice plus assumée fonctionnaient mieux.
Dans l’image s’insère de temps à autre du texte. Il y en a de deux sortes : quelques citations des poèmes lus (donc extrait littéraire mis en avant), et le nom de certains lieux-dits (aspect documentaire). On pourra trouver judicieux ou non l’apparition des (rares) phrases en toutes lettres. Quant aux contextualisations informatives : nous préférons celles en musique ou en silence — plutôt que celles empiétant sur l’avancée des répliques, car le spectateur doit alors lire des inscriptions tout en intégrant d’autres mots à l’oreille.

Ce qu’on adore
La générosité est présente à tous les étages, et ça nous a ravis.
Commençons par la photographie. Mathiote fait de gros efforts pour multiplier les axes. On aime cette volonté d'éviter les redondances de cadre, en dépit de la prédominance des valeurs larges, avec différents styles d'image et de mouvements de caméra (plus quelques trucages). L’étalonnage, tour à tour contrasté ou vaporeux, s’adapte à l’ambiance et épouse le propos. La quantité de matière mise en place est surprenante ; pas une fois en 1h25 on n’aura l’impression de voir deux fois le même plan, ce qui est fort dans une œuvre aux rushes de base non-scénarisés avec pour protagoniste un fleuve ou un territoire !
La construction globale s’avère plutôt astucieuse. Beaucoup de petites scènes font mouche, notamment des interventions animales ou humaines qui viennent agréablement nous surprendre au compte-gouttes. Le film attendra surtout sa seconde moitié pour inclure des variantes visuelles plus profondes, ce qui est un bon choix : alors que nous pensons avoir fait le tour de ce que peuvent raconter de simples tableaux-paysages, on se retrouve sollicité par l’irruption d’un reportage-photo quasi journalistique, puis par des archives-vidéo personnelles.
Au son, différentes atmosphères musicales emballent le tout, dont un piano régulier pour unifier. Mais c’est bien sûr le texte qui est mis à l’honneur. Les poèmes sont aussi beaux qu’admirablement choisis et utilisés. L’expressivité des lectures y joue un rôle primordial (superbe interprétation par Manue Fleytoux & Tony Marot). Les voix restent calmes et coulantes comme des flots, avec quelques fulgurances plus rapides (exemple : l’inondation) toujours bien placées. La dimension dramatique amenée à la fin fait du dernier dialogue un énième point fort du métrage.
S’est ainsi formé un discours d’amour à plusieurs niveaux de lecture — les personnages qui s’expriment verbalement tout du long, le film qui en lui-même incarne un goût pour les arts et la nature, le réalisateur et sa déclaration vibrante au pays...
Bonus : pour les non-francophones, la traduction des sous-titres anglais a été adaptée dans l’optique de conserver une écriture en rimes ; on salue la prouesse.

Conclusion
Proposition assez unique, élégante et rigoureuse. Malgré sa densité, c’est par-dessus tout l'authenticité et la personnalité de l'œuvre qui restent avec le spectateur après visionnage. Pierre Mathiote et sa Loire en séduiront beaucoup, c'est certain !
S.I.
« Le Chant du Fleuve » est en sélection officielle de la troisième édition du Little Croco Festival, nommé dans la catégorie Expérimental.
Bande-annonce :



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